Le drame d’Amdoun qui a coûté la vie à trente jeunes, même s’il a choqué l’opinion publique, a mis à nu quelques tristes réalités dans le domaine de la santé publique en Tunisie. Outre l’incapacité des structures hospitalières situées dans le nord-ouest du pays à faire face à ces cas d’urgence extrême, cet accident, le plus grave dans l’histoire du pays, a également dévoilé le triste visage de ce service public, marqué surtout par un manque accru de cadres de la santé, de techniciens et de médecins spécialistes, ayant, progressivement, déserté, ces dernières années le secteur dont le redressement doit constituer la priorité du nouveau gouvernement
Une séance plénière à l’Assemblée des représentants du peuple (ARP) a été consacrée, récemment, à l’audition de membres de gouvernement concernant l’accident de bus survenu le 1er décembre à Amdoun (Béja), une occasion qui a permis à la ministre de la Santé par intérim Sonia Ben Cheikh de lancer un cri d’alarme compte tenu de la situation du service de la santé publique et notamment celle des hôpitaux. Absence de recrutement de cadres depuis trois ans, fuite de médecins et chiffres alarmants, la ministre, alors que son mandat touche à sa fin, a dressé un bilan plus qu’inquiétant de la situation de la santé publique en Tunisie, notamment en matière de ressources humaines, mais a également annoncé quelques solutions qui pourraient stopper l’hémorragie.
Dans ce sens, Sonia Ben Cheikh a affirmé que depuis 2014, aucun cadre médical n’a été recruté dans le domaine de la santé publique et que les 1.800 cadres qui sont partis à la retraite ces dernières années n’ont pas été remplacés, leurs postes n’ont pas été comblés, on peut imaginer alors la situation dans laquelle se trouvent certaines structures hospitalières, notamment à l’intérieur du pays. La ministre a ainsi fait état d’une insuffisance accrue en matière de ressources humaines dans les hôpitaux tunisiens, puisqu’en effet, depuis presque six ans, aucun cadre médical n’a été recruté.
Même si elle a fait part d’un nombre insuffisant de médecins en Tunisie, notamment les médecins spécialistes dans les régions intérieures du pays, Sonia Ben Cheikh a évoqué, en fait, le manque enregistré au niveau de la disponibilité de ce qu’on appelle les techniciens de la santé. Car, en effet, ces dernières années, outre l’exode des médecins tunisiens vers des pays européens comme la France ou l’Allemagne, plusieurs techniciens et cadres de la santé ont déserté, à leur tour, le secteur de la santé publique soit pour rejoindre le secteur privé ou carrément émigrer vers certains pays, dont notamment les pays du Golfe et le Canada, qui leur proposent des motivations financières nettement meilleures que celles en Tunisie.
Face à ce constat malheureux de l’indisponibilité de ces cadres dans le secteur de la santé publique, surtout dans les hôpitaux, Sonia Ben Cheikh a relativisé la question du déséquilibre régional en affirmant que la situation est également préoccupante même dans les hôpitaux de Tunis. «La question n’est pas propre qu’aux structures hospitalières des régions intérieures du pays, mais il s’agit d’un constat généralisé, dans la mesure où même les hôpitaux de la capitale souffrent de ce déséquilibre», a-t-elle insisté.
Recrutements et fonds supplémentaires
Sonia Ben Cheikh a annoncé dans ce sens que son département lancera un concours au mois de janvier prochain pour recruter près de 2.000 cadres de la santé publique pour renforcer la capacité de ce secteur et répondre aux exigences des citoyens en matière de qualité de soins. Evoquant toujours les solutions à même de remédier à la situation, elle a prévu la réalisation de 44 projets durant le premier trimestre 2020 moyennant des fonds d’investissement allant jusqu’à 2,2 milliards de dinars. «Ces projets portent essentiellement sur la construction et la réhabilitation d’hôpitaux à l’intérieur du pays en mobilisant des fonds d’investissement public».
Revenant sur le retard enregistré au niveau de la réalisation de certains projets dans le domaine de la santé publique, la ministre a accusé ce qu’elle a appelé des procédures administratives accablantes limitant la flexibilité dans les marchés publics. Elle a d’autre part annoncé l’acquisition de nouveaux scanners dont deux qui ont été livrés aux hôpitaux Mongi-Slim à La Marsa et Habib-Thameur à Tunis par le ministère de la Santé, soulignant que huit autres scanners seront installés dans d’autres établissements du pays.
Les médecins spécialistes se font rares
Sonia Ben Cheikh a également fait part d’un manque au niveau du nombre des médecins en Tunisie et notamment dans les régions intérieures. Ce constat touche en particulier les médecins spécialistes qui, dans certaines villes de ces régions, sont quasi inexistants ce qui met en péril la santé des citoyens et contribue à la détérioration de la qualité des soins. Cette indisponibilité des médecins dans ces régions et même au cœur de la capitale s’explique notamment par le phénomène de l’exode des médecins tunisiens qui s’est accentué ces dernières années, laissant le secteur de la santé publique dans une situation assez critique. En effet, même si la Tunisie s’est forgé, ces dernières décennies, une solide réputation dans le domaine des compétences médicales, elle ne parvient pas à retenir ses jeunes médecins qui ont choisi de s’installer à l’étranger et de grands pontes de la médecine attirés par les contrats que leur proposent des pays comme le Qatar, la France, l’Allemagne ou l’Arabie Saoudite. Ainsi de hauts risques sur la formation et l’encadrement mais également sur le rendement des services des CHU sont à craindre.
Dans un entretien accordé à notre journal, la ministre de la Santé publique par intérim avait reconnu que la question de la fuite des médecins commençait à se sentir dans le service de la santé publique. « En décembre 2017, nous avons décidé de doubler l’effectif des candidats et des résidents qui se présentent au concours de résidanat pour être médecin spécialiste. Nous sommes passés, volet recrutement, de 500 à 980 postes dont 180 pour les régions de l’intérieur. Ces médecins ont choisi aussi bien la spécialité que le gouvernorat dans lequel ils désirent poursuivre leur formation. Donc actuellement, nous disposons de la liste par région, par spécialité et par gouvernorat.
Depuis décembre 2017 jusqu’au dernier concours de 2018 dont les résultats ont été proclamés en 2019, nous avons 42 médecins spécialistes en fin de formation qui intégreront leur poste dans le gouvernorat de Médenine. Parmi ces 42 médecins spécialistes, il y a huit gynécologues obstétriciens. La politique du ministère en décembre 2017 consistait à trouver une solution radicale à la pénurie de spécialistes dans les régions. Il y a eu des tentatives par le passé dont celle d’augmenter le montant des gardes payées», a-t-elle expliqué le mois dernier.
Le secrétaire général de l’Union générale tunisienne du travail (Ugtt), Noureddine Taboubi, avait annoncé que pas moins de 630 médecins ont quitté le pays, durant les six premiers mois de l’année 2018, ajoutant qu’il est prévu qu’au moins 900 autres fassent de même d’ici la fin de l’année, soit une perte de 1.500 médecins formés dans nos universités en l’espace de deux ans.